jeudi 6 décembre 2012

Tournante


Bonjour à tous, gens des ateliers d'écriture d'Aix et de la Tour qui ne vous connaissez pas...

Je vous propose un petit texte en alexandrin à continuer... attention : un quatrain par personne. (Nicole)

la nuit je me réveille pour être dans tes bras
pour être contre toi, pour ne penser qu’à toi
le jour fait tant de bruits, tant de cris, tant de peurs
que j’attends le silence pour écouter mon cœur…


Tu es là à rêver mais sans être avec moi
Présence désirée tes soucis sont là bas
Je ne sais pas comment capter ton attention
Ne pouvant te rejoindre, je reste sur le pont.
(Marc)


Mes rêves de là bas qui m'éloignent de toi,
N'en finiront jamais et me laissent sans voix
J'aimerais tant t'aider à faire le plongeon
Saurais tu faire jaillir les eaux d'un puits sans fond ? (Claude)


La couleur de tes yeux, limpides, ensoleillés,
Le parfum enivrant de ta peau dénudée,
Le goût sucré, salé, de tes lèvres gourmandes,
Le souvenir brûlant de ta première offrande.
(Eric)

Le matin je me lève en oubliant tout ça
Dans l'odeur du café et des croissants d'en bas
Cher amour de la nuit et repue et emplie
Souriant à la pluie, j'enlève mon surplis
 (Nicole D.)

Mon cœur est en silence et tout dort alentour
Une voiture part, notre bichon soupire
La barque de la lune a chaviré son cours
Sous un nuage obscur de l'automne en délire
   (Madeleine)

Me rêver dans tes bras, protégée du réel
Dormir sans réveil et ne plus se lever
Tous les deux enlacés, garder les yeux fermés
Écouter ton amour, tout ce qu’il me murmure
  (Suzanne)


Pourquoi un seul quatrain alors que l'on pourrait
Toute sa vie durant écrire des couplets...
(Nicole D.)





Mais la vie nous attend dans un prochain tournant ,
Il faut bien avancer , affronter nos tourments ,
Ce n'est pas que la nuit qui anime nos vies
Je veux croire en l'Amour qui éclaire le jour
.  (Florence)

Vous rimaillez, Amis, sur vos amours intenses
Pendant que chez Morphée mon âme se balance ;
Ce n'est pas tous les jours qu'on trouve un bel amant
Mais la vie nous attends dans un proche tournant
(Nicole D.)
contribution de Florence et deuxième de Nicole D(qui pourrait effectivement servir de refrain, toutes les 3/4 strophes)
on repart pour un tour ? (Nicole)

Comment puis je dormir te sachant éveillée
Vivant seul et tranquille, n’ayant d’heure que la mienne
Attendant sans y croire la compagnie zélée
D’une tendre âme sœur, ressemblant à la tienne.
(Marc)


Je veux croire  en Toi, en Nous, en nos destins
Vivre les tumultes sans nous lâcher la main
Se savoir présents, complices à tous moments
Palpitant à l'unisson, perdant la Raison
 (Sylvie)

La vie avance en nous et partout hors de nous:
une immense tendresse et de grandes souffrances
la raison du plus fort, la sagesse des fous.
Sans cesse il faut choisir et garder l'espérance  (Madeleine)

Les textes de Nicole se perdent dans la page
Est-ce pour mieux se taire ? Voudraient-il être ailleurs
Ils sont de ces oiseaux que le web éparpillent
Que nous cherchons avides, curieux, émerveillés !
(Nicole)



Pourquoi un seul quatrain alors que l'on pourrait
Toute sa vie durant écrire des couplets...
(Nicole D.)


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L'atelier 2012 à Aix : clic

lundi 5 novembre 2012

Fanchette (de Madeleine)



Fanchette


Quand Fanchette dessine, elle encercle du blanc
Elle simule des étangs, elle soulève des collines
Elle appelle l’hiver sur les bois et les champs
Sa ligne virevolte et son dessin fait mine
De fixer ciel et terre en un givre aérien.
De lourds flocons serrés tombent du haut du ciel
Ils fondent dans la main, symboles surréels
Quand Fanchette dessine, elle encercle du rien.

Fanchette ne sait pas que le noir et le blanc ne cessent de jouer à cache-cache dans sa vie.

Quand la Fanchette danse, elle court sur l’étang,
A perdre haleine, à vive allure, elle patine
« Ne tourbillonne plus, écoute un peu, attends ! »
Chante dans sa mémoire un légendaire cygne.

Elle revient, repart, tourne autour d’un bosquet
Un vieux saule crochu semble lui faire signe…
C’est l’épreuve, la victoire qu’il faut gagner
Contre le gel, contre la nuit et leurs rapines.

Fanchette n’aurait jamais dû chausser ses patins magiques.

Quand la Fanchette avoue, elle raconte tout
Le chemin qui se perd au détour de la combe
La luge qui chavire : on n’est plus casse-cou,
On boitille, on se hâte, avant que la nuit tombe.

Quand la Fanchette rêve, elle voit de grands arbres,
Des oiseaux dans leur nid, des biches et leurs faons
La route qui s’en va vers une tour de garde
Et la porte qui s’ouvre, et le couloir profond.

Atelier : clic
Textes de Madeleine : clic

vendredi 5 octobre 2012

Un lieu imaginaire



Sur la table il y aurait …
  … un album de photos. Je n’ai rien contre les albums. Vite dit, car si j’en parle, c’est que je pose des questions à l’ère des albums électroniques. Les albums papiers, c’est attendrissant comme un vieux vêtement qu’on a porté longtemps ; c’est pratique pour garder et montrer les souvenirs à une ou deux personnes ; c’est comme un journal papier qu’on a plaisir à feuilleter. C’est agréable à toucher ; à sentir aussi, les albums ont une odeur, l’odeur du passé, l’odeur des circonstances qu’ils reflètent ; autant de qualités absentes s'il s'agit de la photo numérique.
La plupart du temps l’album est rangé sur une étagère et prend la poussière tout comme un livre qu’on a aimé. Exceptionnellement celui ci serait sur la table. Sont disposées sur des feuilles épaisses de couleur beige, les photos de mon mariage. C’était il y a cinquante ans tout justes. La mémoire vacille, il va falloir que je mette des noms sous les personnages car je reste une des rares personnes à pouvoir reconnaitre tout le monde. Les enfants sont devenus parents et certains même, grands parents, tous sont encore vivants.
J'ai vu, dans certains albums, des silhouettes découpées ou grattées, simplement parce que leur expression ou plus grave, leur présence, ne plaisait pas à l’auteur du méfait...

Sur le mur serait encadrée la photo de la première page de l’album. Le cliché est agrandi et même si l’image n’est pas absolument nette on peut reconnaitre la plupart des personnages. Les deux mariés sont présentés entourés de leurs cortège d’honneur, les plus jeunes des neveux et nièces de sa famille à lui, seize enfants entre onze et un an. C'est le moment pour la mariée de découvrir sa nouvelle et nombreuse famille. En arrière plan on distingue sa fratrie à elle, endeuillée par le récent décès du père.
Sur le vieux tourne disque …
… un des premiers 45 tours des Platters : « Only you » Je le repassais en boucle jadis. Elle connaissait la musique elle aussi ; elle l’avait utilisée en différentes occasions.
Pour moi, dans la félicité d’une nouvelle rencontre, je plaçais ce disque et invitais ma cavalière à danser avec moi. Séduction ? Oui un jeu que ma partenaire adoptait de bon cœur.

Il y aurait dans l’air comme un parfum d’enfance. Qu’est ce qu’un parfum d’enfance ? Laissez votre imagination voguer et vous sentirez comme moi les effluves, bonnes ou moins bonnes qui ont marqué votre jeunesse. Cette odeur se dégage des photos papier comme si ces années de bonheur et d’insouciance avaient imprégné la texture même des pages de l’album. 
Ce jour là, au moment de la photo, c’était l’odeur des peaux fraiches des enfants que l’on venait de laver, de gominer et d’habiller de fête. Ils ne s’étaient pas roulés par terre en jouant au ballon. Ils étaient imprégnés des senteurs du bouquet de fleurs qu’on leur avait confié et qu’ils tenaient pour la plupart serré contre leur poitrine. Fumet qui se mélangeait à l’eau de toilette « Parfum de fête » dont on avait aspergé la robe de la mariée.

Et puis il y aurait toi. Tu serais là, debout à côté de moi, à écouter mes commentaires. Peut être aurais tu souhaité prendre la place de la mariée ? Tu aurais compris que, contrairement au couple de la photo, les enfantillages, les erreurs de jeunesse qui détruisent les beaux projets ne tiennent pas devant la beauté d’un vivre ensemble de tous les jours.

L'atelier du 24 septembre : clic

mardi 8 mai 2012

Quatrains

Consignes : Réaliser quatre quatrains en alexandrins
  • avec quatre phrases (élaborées au hasard et tirées au sort) imposées pour les participants placés par deux

Nicole


Je partirai ravi, loin de toi, femme enfant
Disais tu chaque été quand tu voyais mon ventre
Malgré tout cet amour qu’on faisait en notre antre
Rester plat et stérile, d’un vide triomphant

Je chante dans le soir et tu ne le sais pas
Tu es parti si loin, comme un marin perdu,
Ceux qui parlaient de toi, peu à peu se sont tus
Il ne reste que moi à t’attendre ici bas.

Sur le chemin il fut la vague désolé
Celui que j’ai aimé pour me passer de toi
Un soir et une nuit je fis de lui un roi
Et puis ce fut la fin sans larme et sans regret

Lorsque tu reviendras pour ouvrir la cassette
Si un jour tu reviens, si je t’ai attendu,
Tu verras que la clef est toujours là pendue,
Que les ans m’ont changé mais m’ont laissée muette.


Marc

Lorsque tu partiras pour ouvrir la cassette,
Celle que tu m’as donnée alors que je t’aimais,
Je n’oserai jamais me souvenir du fait
Que j’ai du la remplir de mes nombreux regrets

Le long du quai désert, face à la mer limpide
Je chante dans le soir mais tu ne le sais pas
Quand je retrouverai la paix dans mes pas
Je donnerai un sens à notre été torride

Sous le soleil je suis un être sans destin,
Dans la nuit tu étais ma compagne éplorée,
Sur le chemin il fut la vague désolé,
Ensemble, plein de bonheur, nous le serons enfin.

Que raconter de vrai aux chers amis d’antan
Quand ils demanderont quel chemin j’aurai pris ?
Je partirai ravi, et cette femme enfant
Emportera au loin tous mes espoirs trahis.

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L'atelier 2012 : clic
Les écrits de Paul : clic

samedi 4 février 2012

L'atelier du 30 janvier

Solange la solitaire

Solange est assise tantôt ici tantôt là dans le jardin public. C’est dimanche et régulièrement, ce jour là, on la voit passer d’un banc à un autre suivant l’exposition au soleil.
L’été elle porte un chapeau, un grand chapeau de paille d’où émerge sa longue tresse qui lui descend jusqu’au milieu du dos. L’hiver elle est enveloppée dans un grand anorak rouge.
Elle lit un livre de poche qui lui fait sa journée, elle le rend le mardi matin au club et en prend un deuxième plus conséquent pour le reste de la semaine.
Par moments elle se lève, sans doute pour faire un entracte et elle parle en marchant. Rien d’étonnant : qui n’a jamais rencontré une personne seule parler, dialoguer avec un interlocuteur virtuel, sur un téléphone portable, dans la rue ? En fait Solange récite ce qu’elle vient de lire. Il parait que c’est un bon moyen pour entrainer la mémoire.
A 13h elle sort de son sac une pomme et quelques noix. C’est très complet et nourrissant revèlent les manuels de diététique. Elle casse les noix en les plaçant sous son talon et par un petit coup sec elle arrive à ne pas les écraser. Parfois elle se donne plusieurs essais mais jamais elle ne pulvérise le fruit.
A 17h elle rentre chez elle, sans doute pour prendre le thé et à 18h, elle verrouille sa porte qu’elle n’ouvre à personne ensuite. Qui viendrait voir Solange ? Elle se suffit à elle-même et ne s’occupe de personne. Elle est curieuse pourtant, elle vit dans ses livres ou en regardant la télé mais déteste qu’on lui pose des questions. Elle les oublie systématiquement à peine en a t elle prit connaissance.
On peut voir la lumière chez elle jusqu’à deux heures du matin.

Ce dimanche Solange est inquiète, un message, sur son répondeur, l’intrigue. Une voix d’homme qu’elle n’arrive pas à identifier ; une voix qui l’invite non pas à aller faire la fête mais à représenter l’atelier Ecriture, dont elle faisait partie, à une manifestation.
Pourquoi elle ? Elle qui ne fait plus partie de l’atelier depuis deux ans. Oui, la majorité des participants étaient des hommes et leurs écrits prenaient un tour qu’elle n’appréciait pas du tout : des allusions au sexe sous des apparences de poésie, c’en devenait inconvenant.
Alors cette voix ? C’est peut-être celle de l’un d’entre eux ? Lequel ? Est ce celle du vieux barbu qui n’arrêtait pas de prendre des photos sans qu’on s’y attende et les collait ensuite sur les pages du site de l’atelier ? Est ce celui … Non celui là, je n’en parlerai pas et ne veux même pas y penser, murmure t elle, tout fort...

Solange met un peu de musique et cherche à reprendre son travail en tentant d’oublier le message.
Difficile de se concentrer et de trouver des enchainements pour élaborer le livre qu’elle écrit sur les coutumes des Indiens d’Amérique du Nord avant 1830. Les idées reviennent pourtant et Solange poursuit son travail.
Lundi coup de théâtre vers 14h ; le téléphone sonne et Solange ne décroche pas. Elle entend la même voix ; cette fois elle croit reconnaitre le correspondant et son cœur s’affole : « Si c’était vraiment lui ? »

Solange prend sa décision : « Si demain, il rappelle, je décroche et je dis que j’ai décroché trop tard mais que je suis prête à raccrocher, enfin à retourner à l’atelier et assister à la réunion de mercredi. »

Mais voilà demain ce sera mardi et le jour de la bibliothèque. Solange ne peut pas manquer son rendez vous avec les livres.
Le téléphone sonnera et sur le répondeur la voix annoncera qu’elle va s’arranger autrement.
Qui était cet interlocuteur ? Sur l’appareil s'affiche : « Correspondant inconnu » … En faisant le 3131 : personne. Solange mourait d’envie de parler à cet étranger qu’elle pensait reconnaitre.

Oui c’était Henri qui appelait Solange. C’était Henri qui prenant en charge la mission qui lui était confiée cherchait à reprendre contact avec Solange dont les écrits lui restaient en mémoire. Elle l’intriguait particulièrement. Il espérait, au bout du compte,  qu’elle accepterait de sortir de sa solitude pour partager la sienne.


Marc
L'atelier du 30 : clic

Le message dérisoire

Il vit seul au premier étage, au-dessus de son  atelier et, sous le toit, derrière un vaste vitrage, se trouve un second atelier. Son véhicule reste été comme hiver dans le jardin. Au volant de sa petite camionnette, il part travailler sur ses chantiers, ici ou là, jamais plus loin que vingt kilomètres. Dans cet espace dont notre village est le centre, il y a une petite ville et d’autres villages. Pour l’alimentaire, il peint l’intérieur et l’extérieur des maisons et des immeubles et quelquefois des trompe-l’œil. Dans l’annuaire il  paie un modeste pavé qui présente ses prestations et donne ses deux numéros de téléphone.
Quand il n’emporte pas son casse-croûte, il va au restaurant. Dans ce cas, il mange en lisant le journal. Tout le monde lui dit Monsieur Journu. Entre nous, on l’appelle simplement : le peintre. Il vient forcément d’ailleurs car il n’a ni famille ni même un seul ancien copain d’école à vingt kilomètres à la ronde. Ni non plus d’anciennes copines. Ni d’actuelles.
Lorsqu’il n’a pas de travail, il monte, par une échelle, dans son atelier numéro 2, car il peint sur chevalet d’après les photos qu’il prend au cours de ses déplacements. Les rares privilégiés qui ont eu l’honneur d’y accéder ont pu voir, au milieu de tous ces paysages qu’il leur brade pour faire de la place, le portrait d’une jeune inconnue très brune. Il paraît que c’est son ex, et qu’il est divorcé. Mais il ne reçoit jamais que des factures et du courrier professionnel.

Cela dure dix ans, jusqu’au dixième hiver, où il travaille en ville et à l’intérieur. Comme d’habitude, en partant de chez lui, il a fermé à clef la porte de l’atelier et celle de l’escalier qui monte à l’appartement mais pas celle du jardin. Quand il revient, vers seize heures, il y a dans son jardin des traces de pas. Le seuil de la maison semble avoir été piétiné comme si quelqu’un s’était acharné à ouvrir la porte. Sur l’appui de la fenêtre il y a un petit paquet rouge. Or, ce paquet – le facteur nous l’a dit depuis – ne provenait pas de la poste. Le peintre l’a pris et l’a ouvert. Qu’a-t-il vu ? Il n’est plus le même.
Maintenant, au restaurant, il s’approche du bar pour prendre son café. Il dit en quelques mots où il travaille et ce qu’il fait. Il attend des réponses. Il essaie de savoir à qui il s’adresse. Et c’est pareil sur ses chantiers : auprès des commanditaires, il enquête sur le voisinage. Y aurait-il des nouveaux venus sur ce qui semble être, depuis dix ans, son territoire, son île autrefois déserte ? Ainsi Robinson lorsqu’il examine les traces de Vendredi. Ce qui nous y fait penser, c’est que nous le voyons parfois, muni d’une longue-vue, surveillant les environs du haut de son atelier. Lorsqu’il travaille, il ne fredonne plus jamais, il soupire. Au moindre bruit, il se retourne brusquement comme s’il voulait surprendre un intrus.
Heureusement, l’hiver est court. Un mois plus tard, fleurissent les amandiers..   Quand il rentre vers seize heures, il y a encore un petit paquet rouge sur l’appui de la fenêtre. Et ce n’est toujours pas le facteur qui l’a déposé. C’est on ne sait qui. Et nous, nous ne savons pas ce qu’il y a dedans.
C’est alors qu’au restaurant, il a parlé pendant dix minutes. Pour dire qu’il avait reçu des nouvelles deux fois. On n’a pas osé lui demander de qui. Pour dire qu’il arriverait – c’est sûr – à savoir qui les lui apporte. En face de chez lui, habite Julienne, qui loue une chambre. Il a loué cette chambre. Et maintenant, il habite en face de chez lui. Et quand il va travailler, il paraît que Julienne ou sa mère prennent le relais derrière leurs fenêtres. 

En somme, tout ce mystère, ça lui fait de la compagnie. On n’attendait que ça pour lui montrer de la sympathie. Il faut dire que nous sommes curieux et que nous aimerions bien savoir.

Eh bien ! voilà, nous ne saurons jamais et lui non plus. Au volant de sa camionnette, notre peintre a rencontré un grand peuplier. Ejecté, ramassé, hospitalisé, il est resté trois jours entre la vie et la mort avant de se laisser dériver.
A son enterrement, l’on n’a pas vu d’estranger, c’est-à-dire de personnage qui ne serait pas du coin. Mais quinze jours après, une Clio rouge s’est arrêtée devant sa villa. En sont sortis deux jeunes gens vêtus d’un T.Shirt rouge portant les mots Jadis et Naguères. Ils ont sonné. Ils sont entrés dans le jardin. Au moment de poser une nouvelle boîte rouge sur l’appui de la fenêtre ; ils ont levé la tête et vu le grand panneau A LOUER, avec l’adresse du notaire. Alors, ils sont allés demander à Julienne si c’était bien la maison de Madame Jourdan.
-- Mais non, a dit Julienne, Madame Jourdan, c’est moi. Là-bas, c’était chez Monsieur Journu.
-- Alors, Madame, nous avons le plaisir de vous remettre, en tant que Cliente Lauréate, ce cadeau offert sans obligation d’achat. Vous aviez bien reçu par la poste une missive avec ces mots :Guettez votre boîte aux lettres ? Avec une enveloppe pour la réponse ?
-- Peut-être, mais je n’ai pas fait attention, je ne sais plus ce que j’en ai fait…
--C’est parce que Jadis et Naguères tenait à vous récompenser qu’il nous a demandé d’insister !
Julienne a ouvert le paquet. Dedans, il y a un objet en plastique qui porte écrit en petites lettres Jadis et Naguères et qui encadre une photo. Il y a aussi un billet faussement manuscrit, en forme de cœur : A bientôt.
Qui se souvient que Verlaine a écrit Jadis et Naguères ? En revanche, toutes les femmes savent que Jadis et Naguères est une entreprise de vente par correspondance.
Pas les hommes. Et la photo ressemble terriblement au portrait qui trônait dans l’atelier.
Madeleine .
Les textes de Madeleine : clic
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jeudi 26 janvier 2012

Proxi

Du nouvel épicier de la Rue principale, qu’y avait-il à dire ?  
Tout et rien. C’était un costaud qui portait deux caisses à la fois quand il déchargeait sa camionnette. Il était massif. Il avait un accent bizarre. Il disait nonante et septante. Belge ou Suisse ? On déduisit qu’il était plutôt belge parce que les Suisses traînent en parlant. Lui, c’était rapide et bref comme une baffe. Il vous regardait en dessous. Etait-il sournois ? Sorti de ses boîtes de conserve, de ses fruits et légumes de ses pots de yaourt et de sa charcuterie sous plastique, qu’était-il ? des muscles. Les gens disaient : « Il n’a pas de conversation. » Par comparaison, la bouchère, le buraliste et la boulangère étaient de brillants conférenciers. Le dimanche à 13 heures, il disparaissait au volant de sa camionnette et ne reparaissait que mardi matin aux aurores avec son chargement. Et puis il ne vous disait ni monsieur, ni madame, ni mademoiselle, ni miss, ni choupette, ni ma belle. Rien. Il vous plongeait dans l’anonymat dont lui-même n’était pas sorti. Proxi étant le nom peint au-dessus de sa vitrine, on l’appelait Proxi.

Ségolène O’Brien était une ancienne rédactrice du journal régional. Elle  avait pris une retraite très anticipée pour donner des leçons de chant, soit aux m’as-tu-vu qui visaient une carrière à l’opéra, soit aux timides qui voulaient poser leur voix, respirer ou accéder à la sérénité. Elle avait d’autres cordes à son arc. L’hiver, en gardant une vaste maison délaissée par ses propriétaires, elle pouvait louer son studio. Elle écrivait aussi. Quoi ? elle ne le disait pas mais elle avait tant d’allure avec ses lunettes octogonales et ses boucles rousses qu’on n’aurait pas été surpris de la voir passer à FR3. D’ailleurs, pour un oui pour un nom, elle vous donnait sa carte de visite, une mini-carte bleutée qui vous informait qu’elle était, de plus, orthophoniste.
Aramis, le chat de Ségolène, seigneur tigré de la Rue Principale, qui feulait et fuyait et refusait toute familiarité avec quelque créature que ce soit, mangeait, paraît-il, tout crus, les écureuils du petit jardin public.
 

Un beau matin d’été, la camionnette de Proxi fit une embardée vers Aramis qui resta tout raide étendu par terre. Proxi pila, gara plutôt mal son véhicule ramassa l’animal et courut vers le vieux kiosque du jardin. Ségolène, alertée par la rumeur publique s’y précipita. Un coup de vent claqua la porte derrière elle. On n’entendait rien à l’intérieur, ni cris, ni insultes. Cela dura un bon moment, où les paris se multiplièrent. Et puis, ils frappèrent pour qu’on les délivre.
Dans un roman, on aurait vu sortir les deux héros, tout éplorés, réconciliés, unis pour le meilleur et pour le pire, tenant, chacun par une anse le panier-cercueil du tigre miniature. Oui, mais voilà, dans la vraie vie, les artistes n’épousent pas les épiciers.
 

Je t’écris pour te dire que Proxi s’appelle Sylvain Vanderbeck. Dans sa jeunesse il n’avait pas pu être vétérinaire. Pour se consoler, il fait partie d’une équipe de protection civile. Quand il a emporté le chat, c’était pour lui faire tranquillement un massage cardiaque. C’est dans ses bras que la bête est sortie du kiosque bien vivante et sans protester. Quant à Ségolène, l’apprivoisera-t-il aussi? Fatalement, pour le remercier, elle lui a proposé des leçons de chant. Entre nous, ce mutique en a bien besoin. Affaire à suivre…
Madeleine
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